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Marie-Pierre Vieu
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14 décembre 2010

Intervention 90ième anniversaire du PCF

90_ansEvoquer l’actualité du communisme nous amène inévitablement à parler de la situation politique, des luttes sociales qui se multiplient et des possibilités transformatrices qu’elles mettent en évidence.

Je ne crois pas que nous puissions faire abstraction du développement social, des recompositions imposées par la droite et les forces du capital, de la désespérance créée et du terreau que cela ouvre à des solutions régressives ( cf 14% intentions de vote Marine Le Pen) mais également des mouvements de masse qui se sont développés ou sont en train de se développer face aux politiques d’austérité que ce soit ici en France autour des retraites, en Grèce ou encore aujourd’hui en Irlande.

Le congrès du Parti de la Gauche Européenne a montré il y a huit jours, tout à la fois l’interconnexion entre les différents foyers de colère et de riposte qui se multipliaient à l’échelle du continent européenne et en même temps l’exigence de nous forger ensemble un destin commun pour peser réellement et ouvrir une perspective viable face aux choix de régression sociale et de soumission des parcours et des consciences imposés par les logiques capitalistes. Qui justifie un engagement militant dans une telle force européenne.

Lors des derniers congrès du PCF, nous avons toujours justifié l’hypothèse communiste par une analyse contradictoire et dialectique du développement capitalistique et des potentialités de résistance qu’elle ouvre : nous avons identifié la formidable capacité du capitalisme « à utiliser ses propres crises sans jamais les surmonter vraiment pour reproduire en les élargissant, les conditions de sa pérennisation » ; nous avons défini notre combat communiste comme celui pour l’émancipation s’appuyant sur ce que qu’il est de points d’appuis, d’acquis sociaux et collectifs issus pour une part prépondérante des luttes et action populaires ; nous avons identifié les formes multiples de la lutte des classes, contre toute forme d’exploitations, de  dominations  et d’oppression moteurs de tout bougé social et de tout bouleversement historique.. 

La crise systémique dans laquelle nous sommes entrés, accentue le besoin de travailler les termes de cette équation. Sa gravité sans précédent, sa caractère durable, le tournant idéologique et politique qu’elle a justifié et continue à justifie au plan européen et mondial nous place dans une situation inédite. J’ai déjà écrit qu’en un sens elle est incomparablement plus sérieuse qu’en 1929 car nous sommes aujourd’hui confrontés à un système mondial ce qui n’était pas le cas alors et de plus, il n’existe d’Internationale communiste, des Partis forts en lien avec les syndicats eux mêmes beaucoup plus influents que maintenant.

A cela il faut ajouter la crise persistante du communisme et de la sociale démocratie, celle de la gauche, et pour une part de l’action politique. Ainsi pour prendre un exemple bien concret ; même au plus fort des manifestations d’Octobre/Novembre et alors qu’une majorité de nos concitoyens se retrouvaient sur la revendication de la retraite à 60 ans à taux comme sur nombres de nos propositions (je pense en particulier à celles concernant une nouvelle répartition des richesses) la gauche et singulièrement le PCF, je vous renvoie au sondage Louis Harris qui le place en bas de la liste des forces de gauche, continuent à être vécus comme extérieurs aux attentes de nos concitoyens, pas porteurs d’alternatives crédibles.

Indépendamment de l’échéance de 2012 et en dehors de toute démarche anxiogène qui ne consisterait qu’à regarder la moitié vide de la bouteille, il est important que nous continuons à travailler sur la nature de cette double crise du communisme et de la social démocratie, de celle singulière de la gauche française que l’on a longtemps qualifié d’exceptionnalité en Europe ( en adéquation avec un mouvement social et ouvrier lu aussi d’exception) au point que Stéphane Courtois dans son livre « Le bolchévisme à la française » ( Fayard) légitime la ténacité d’un communisme français par le seul fait de ce particularisme de la gauche française qui a su historiquement s’unir, le PCF imposant au PS d’ « enregistrer une défaite idéologique, la pensée socialiste étant durablement et profondément contaminée par l'idéologie révolutionnaire»

Sion peut débattre de la pertinence d’une telle analyse, je crois cependant que nous ne pouvons dissocier notre réflexion sur la visée communiste du débat sur l’avenir de la gauche. Et donc de celui sur les points d’appui et les obstacles à dépasser pour construire une gauche d’alternative au 21ième siècle. De même, nous ne pouvons pas mettre de côté :

Un, le fait que nous sommes sur une réponse civilisationelle et universelle, qui n’intègre pas que la dimension revendicative mais nous interpelle dans ce que nous avons de plus intime. Ainsi les revendications et exigences qui se structurent depuis des décennies autour des droits de la personne et des libertés m’apparaît un fil à tirer de première importance dans l’affirmation de toute perspective d’émancipation. Ce qui nous appelle à être présents sur de terrains multiples : politique, social, idéologique, institutionnelle bien sûr mais également culturel, éthique, en capacité de faire bouger nos modes de représentations jusque dans l’imaginaire collectif, 

Deux que le contexte de la crise exacerbe l’urgence d’une porte de sortie immédiate et impose le débat sur communisme politique c'est-à-dire de notre capacité à faire vivre cette visée d’émancipation dans des rassemblements populaires qui cherchent une majorité pour poser et disputer la question du pouvoir c'est-à-dire encore celle de l’hégémonie. Je le dis dès maintenant mais y reviendrai plus tard dans mon exposé : je crois que l’un de nos faiblesses actuelles mais compréhensible du point de vue de notre histoire de Parti et des premières ruptures que nous avons opérés avec une conception de la révolution qui dans sa théorisation comme sa pratique interdisait tout intervention citoyenne paralysant ainsi toute avancée possible, reste que nous avons la tendance à cantonner aujourd’hui notre communisme à un référentiel de valeurs voire à des définitions morales découplés de la question des rapports de force politiques susceptibles d’imposer d’autres choix pour la société.

Pour dire les choses autrement, il m’apparait plus pertinent de déployer ces gestes et de mener ces combats qui feront de nous des communistes et des militants pour l’Humanité, que de nous définir en creux et d’une manière identitaire qui ne peut que figer alors que le communisme est un mouvement perpétuel.

90_ans_1En abandonnant une vision étapiste du processus révolutionnaire ( et donc le passage nécessaire par le socialisme ; cf Lucien Sève) pour poser l’enjeu immédiatement du dépassement du capitalisme et de toutes les formes de domination qui monte à l’intérieur de tous les défis de la société actuelle, nous avons  fait le choix de valoriser le combat politique ; en portant à chaque instant l’enjeu de nouvelles conquêtes populaires et celui du rassemblement pour les gagner. Tout au long de nos 90 ans d’existence nous avons su, disons-le souvent indépendamment de notre conception du communisme, prendre des initiatives qui ont participé à bouleverser les grands équilibres de ce pays et à structurer en positif notre rapport à la société par le biais d’avancées collectives qui font aujourd’hui partie de ces acquis que la droite tente aujourd’hui de laminer. Je pense que dans la séquence politique actuelle, il nous faut mieux appréhender la construction du Front de gauche que nous avons initié et à laquelle nous participons activement ; non pas seulement comme une alliance de forces circonstancielle voire une simple stratégie pour renforcer la gauche politiquement et électoralement mais justement comme un rassemblement et la constitution d’une force dont le but avoué est de sceller un nouveau modèle et pacte social.

Trois, cela nous amène à reprendre le débat sur une série de questions au coeur de l’affrontement politique. Pour ne citer que la question de la propriété, des rapports sociaux de production, de l’affrontement capital/travail productrice de l’idéologie et des appareils idéologiques autant que le détournement des forces productives et les dérégulations, la question de l’autogestion.

La question de l’état, celle de la démocratie, de l’auto-administration et la question centrale de l’hégémonie, laquelle renvoie à la lutte des classes, conscience politique, parti(s) et alliances.

La question encore du passage à la conscience de classe, c’est à dire de la politisation sur laquelle nous sommes encore en difficulté ; en effet comment pouvons nous mieux travailler la problématique du mouvement social, celle du syndicalisme, son unité, son rôle et son indépendance affirmée en rapport avec la construction d’un rapport de force anti capitaliste ? Comment réalisons nous objectivement cette unité des salariés et des dominés que nous évoquons souvent ? Que devient dans ce contexte le rôle de notre parti lui-même ?

La question du réformisme et de la "révolution" dès lors que nous définissons notre visée comme "mouvement" et de dépassement... - La question de la gauche dans son ensemble et d son rassemblement dans un schéma où nous ne concourrons plus ni à droitiser la social démocratie, ni à simplement tenter, à gauche, de faire pression sur le PS ce qui aboutit à continuer à le légitimer comme pivot de la gauche.


Nous avons identifié votre visée communiste au combat pour l’émancipation. Emanciper en latin "emancipare" signifie affranchir un esclave du droit de vente. De fait, il nous renvoie à la nécessité de sortir l’homme et l’activité humaine de la seule sphère marchande de la logique d’accumulation du profit, de la mise en concurrence et de la guerre sociale..
Dans la Critique des droits de l'homme, La Question Juive, Karl Marx (1843) écrivait
« [...]C'est seulement lorsque l'homme individuel, réel, aura recouvré en lui-même le citoyen abstrait et qu'il sera devenu, lui, homme individuel, un être générique dans sa vie empirique, dans son travail individuel, dans ses rapports individuels, lorsque l'homme aura reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne retranchera donc plus de lui la force sociale sous l'aspect de la force politique ; c'est alors seulement que l'émancipation humaine sera accomplie. »

Derrière le choix de l’émancipation, il y a celui de la libération. Je ne développerai pas, volontairement ci, l’analyse que nous avons tiré de l’expérience  communiste du 20
ième siècle et qui nous a amené à nous affranchi d’une conception de la révolution réduite à la prise du pouvoir d’Etat, à la dictature du prolétariat et à l’étatisation de l’économie conduisant aux dérives et perversions que nous savons : sauf pour dire qu’il est important que nous allions au bout de cette réflexion en tirant le fil de l’émancipation et jusque dans les implications que cela doit avoir dans notre appropriation du débat et de l’action politique, dans le champ des évolutions de notre Parti.

90_ans_2C’est une des grandes questions qui a été au cœur des derniers congrès du PCF et qui continue à être discutée par les communistes. Car elle conduit à appréhender différemment les évolutions de notre Parti. Pour ma part, je pense que le Parti de la visée communiste du 21ième siècle n’existe pas et qu’il est encore à créer. Et ce pour une raison simple ; c’est qu’être l’outil politique de l’émancipation nous conduit inévitablement à nous poser la question de notre mode militant, organisationnel et structurel, à produire aussi différemment de l’idéologie et pour y parvenir savoir être transgressifs par rapport à nous-mêmes. (c’est tout le débat de la sortie de la matrice qui pour une part prépondérante a empêché le renouvellement nécessaire de notre pensée théorique)

Transgressif ne signifie pas régressif. Et pour moi, il ne s’agit pas ici d’abandonner ce que nous sommes au sens de nos racines, de nos références et de nos savoirs faire mais bien de dépasser ce que nous ne sommes plus ou ne voulons plus être. Ce qui oui introduit la notion de rupture.

En parlant ainsi, je ne veux être en reste ou me cantonner à un discours d’intention : et je sens bien qu’il est besoin de donner un sens à notre recherche et notre effort.

Nous voyons ces dernières années particulièrement dans la diversité et la multiplicité des mobilisations sociales, de la reprise du débat culturel et d’idées, la manière dont l’ensemble de ces mouvements et échanges sont relayés et tendent à s’internationaliser, les rencontres et convergences qui font jour, un potentiel déjà presque « en action ». Je pense notamment à tout ce qui s’est noué autour de l’appel des appels, les luttes- contenus !- qui se développent sur des questions comme la psychiatrie ; je pense également à ce que nous faisons émerger et s’exprimer dans les premières initiatives que nous menons sur le programme partagé, par exemple localement ou dans celle qu’a prise le LEM il y a 15 jours.

En 2006, nous terminions notre texte de congrès sur la visée notre communiste, en revenant sur la nécessité d’un communisme politique où notre stratégie incarnerait notre visée. Je trouve en effet que nous sommes en train de mettre en cohérence ce que nous sommes, ce que nous affichons de nous avec le rôle que nous voulons tenir dans la société et la gauche.

Continuer à politiser notre visée me semble la question prépondérante et de nous interroger non pas sur ce que nous sommes nous communistes, mais face à la droite et aux politiques en vigueur, à quelles résistances, contre offensives et conquêtes à quoi nous serons utiles. De travailler aux conditions politiques à réunir pour imposer des majorités sur des questions d’actualité au cœur de l’affrontement de classe : la BCE, les services publics, la démocratie et le changement de République, les migrants…. Je crois que même si c’est notre démarche est encore empirique, nous sommes en train d’accumuler des expériences, échanges, matériau divers qui vont nous permettre de construire ce nouveau Front populaire pour écrire une nouvelle page de l’histoire de la gauche et de conquêtes indispensables.

Je finirai mes propos sur une boutade. Hier soir à Marseille avait lieu la présentation du deuxième livre de Pierre Dharreville, seize nouvelles constituant « le Vol d’Epistole », toutes magnifiquement écrites. Le comédien Gérard Meylan présent avait accepté d’en lire une, consacrée à un travailleur du port de Marseille. Il dit toute sa satisfaction d’être là dans cette maison des communistes qui était également la sienne parce que se considérant de cette famille. Plaisantant il ajouta qu’il n’avait qu’une petite critique ( politique) à faire sur le livre de Pierre : dans la nouvelle les deux princesses, on découvre une petite princesse et une petite paysanne dont les destins sont journalièrement échangé avant que la chute de l’histoire ne fasse de la princesse une paysanne heureuse et de la paysanne, une princesse. Pas possible selon l’acteur fétiche de Guédiguian. Question : quelle serait la morale communiste d’une tel conte ?

Samedi 11 décembre 2010


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