♠ ♣
C'était le 21 novembre 1975.
Je rentrais de l'école et ce soir là, ma basque de maman m'attira à elle pour me signifier quelque chose d'important. Elle déplia l'Humanité du jour, mit son doigt sur la une et me lut l'article qui suivait: Franco était mort, un horizon s'ouvrait. C'était jour de liesse...
De Franco je ne savais pas grand chose. Sauf qu'il avait conduit les parents, grands parents de mes copines de la cité la Bruyère à fuir l'Espagne. Il appartenait à la golden liste des dictateurs contre lesquels manifestaient mes parents, le PCF et la CGT. Tout cela me suffisait pour comprendre que c'était un salaud.
Je savais encore qu'il sévissait à quelques dizaines de kilomêtres, juste derrière les Pyrénées. Longtemps je me suis demandée comment une chaîne de montagne pouvait préserver de la barbarie. Depuis, j'ai compris que ce n'est pas le cas, que ni les barrières naturelles ni la force de l histoire ne préservent du fascisme.
Franco mort, le franquisme n'est donc pas sorti pas de ma vie.
Je le trouvais partout, enfoui dans les films de Saura et Almovadar, saillant dans les livres de Montalban, de Lorca, d'Unamuno, de Semprun. Tout juste à la fac je vivais les mobilisations contre les expulsions d'étudiants basques tombant sous le coup des politiques coordonnées des gouvernements Chirac/Pasqua et Gonzalez et je découvrais que la transition démocratique n'empêchait ni le GAL ni la loi d'exception.
"Fêter" les 40 ans" de la mort de Franco? Le projet s'est imposé comme une évidence. La quarantaine c'est l'heure des premiers bilans et ce qui vaut pour moi le vaut bien pour le Caudillo!! J ai décidé de le donner en pature à de vrais tueurs, lui, ses cendres, celles de tous les tortionnaire et vieilles carcasses d amis qui l'ont soutenu, accompagné et ont poursuivi son oeuvre.
Olé... l'heure de la justice a sonné pour tous les martyrs et "trece rosas" du régime!!
Franco la muerte est sorti début septembre.
Il consacre le travail de vingt auteurs de polar et roman noir coordonné par Gérard Streiff. Dans la somme de leurs récits on retrouve cet humour et subversion qui fait la marque de ceux qui se sont affranchis de toute tutelle. " Libertaires de tous pays unissez vous!!" Les textes se croisent, se complètent, résonnent d'un même écho. Même couleur, même âme aussi.
D'entrée Patrick Amand fixe le décor. L'ultime chasse à courre du Caudillo donne lieu à une scène où il devient le gibier des mêmes qu il a traqué comme des lapins durant des décades. Ca flingue à vue. Du coup Alain Bellet peut ensuite jouer les services après vente en accueillant le dictateur juste refroidi dans les cieux. Fort, très fort. Au suivant.
C est à l'autre ogre du regime, Luis Carrero Blanco d' y passer. Patrick Fort et Gildas Girodeau s y attèlent et chacun dans son registre, nous font revivre ce matin exquis de novembre 1973 où l'amiral est pulvérisé dans sa voiture noire de tortionnaire. Ca se passe là, juste à la sortie de l'office religieux de l'église de San Francisco de Borja où il est venu demander sa rédemption quotidienne. On aime cette reconnaissance divine...
Les figures tutélaires du régime passées, on s'offre aux réjouissances. Gérard Streiff tire le portrait d'un tocard de journaliste à la quête du dernier bulletin de santé du mourrant comme on quête le Graal, Chantal Montellier celui d'une bobo made in 1974 qui à force de vivre à l'heure du catalan Salvador Puig i Antich va finir garottée comme lui, avec sa propre écharpe de babos. Jacques Mondoloni quant à lui invente une Marilyn de pacotille dopée à l'anti communiste et rattrapée par l'histoire. Ça déconne plein tube, on rit de l'ignominie et du grotesque des situations mais d'un rire libérateur...
Pas que cependant.
Car on ne peut faire l'impasse, ni sur ce que le franquisme a généré de haine, ni sur son idéologie qui puise sa force dans un national populisme et trouve ses relais dévoués dans les milieux religieux mafieux patronaux. Les trois souvent.
Didier Daenincks s'attaque au sujet via une enquête qui débute dans le sillage de René la Canne, Roger Martin rédige une lettre à Robert Ménard maire de Béziers signée du nom de la fille de Jean Paul Dirche, ex de l'OAS.
Ricardo Montserrat convoque Staline, Mussolini, les banques et leurs cohortes de morts: connivences entre bourreaux!
A l'inverse Jean Hugues Oppel met en scène une scène de torture où la victime ne tient qu'à cette phrase " je ne suis pas Franco" comme l'ultime lien qui le rattache à l'humanité. Car des victimes, des vies saccagées il y en a pléthore. Ainsi Antoine Blocier avec son narrateur revient dans le village de José le grand père disparu et y retrouve son bourreau recyclé en édile local. Frédéric Bertin-Denis raconte la vie de Pedro le chevrier, que les coups de Jésus Ramos petit capot local, vont pousser à abandonner ses terres arides pour entrer dans la lutte armée.
Partout c'est de la souffrance. Pierre Domengès, Sophie Loubières et Maurice Gouiran la sondent et s'en amusent, Hervé Corre ou Max Obione aussi campant le vieux Monsieur Ramon qui au crépuscule de sa vie, va se soulager sur la tombe du dictateur: "Mission accomplie papa!"
Il est encore la nouvelle de Maria Torres Celada auteure espagnole, dédiée à son grand père victime de la répression. Elle nous renvoie dans un entre deux, entre la vie et la mort, la rêve et la réalité la culpabilité et la vengeance. Il y a celle de Jeanne Desaubry "Porque te vas" titre de la BO de "Cria Cuervos". Elle nous raconte l 'histoire triste d'une jeune étudiante qui croit rencontrer le prince charmant dans le Paris du quartier latin et va se heurter au franquisme ordinaire, sa négation de la femme.
No pasaran!!!
Ce dimanche 6 décembre, sur le plateau de F3 à 20h quand sont tombés les résultats de la région, j'avais mon "Franco" sur la table à mes côtés. Durant toute la campagne il avait été dans mon sac sur les tables dans les réunions publiques. Comme un repère.
Quand quelques jours auparavant le maire FN de Beaucaire, trentaine et fachiste décomplexé m'avait expliqué que la solution c'était mettre un frein à l'islamisme, des portiques à l'entrée des lycées, instaurer la déchéance nationale et fermer les frontières, je lui avais juste rappelé qu'heureusement que depuis 1939, on les avait laissé ouvertes les frontières côté Espagne, sinon nous ne serions pas là pour en parler...
Je ne crois pas que le fascisme est soluble dans la démocratie. Je crois qu'il pollue, gangrène et détruit tout ce qu il touche. Les rapports sociaux, l'égalité, les femmes, les jeunes, le travail, la culture, la liberté, la nature, la citoyenneté, lintelligence la vie...
Je sais qu'il est des raisons objectives d'expliquer la montée de l'extrême droite ; la mal vie, l'austérité, les alternances, la crise économique politique démocratique...
Je pense que le gouvernement Valls-Hollande-Cambadelis et quelques socialistes que j'ai croisés ces 48 dernières heures continuent à ne rien comprendre dans ce qui est en train de se passer dans notre société, qu'ils sont à un tel point devenu étrangers aux urgences et souffrances, aux attentes du monde qui les entourent qu ils ne voient même pas que les digues ont lâché ce week end, qu'on ne peut plus desormais jouer pour sauver des places et des pouvoirs, de diktat de la commission et toutes les raisons objectives qu'ils trouvent pour expliquer leurs choix de m... Je crois que la question de l espoir et de ce que j'appelle encore une gauche de transformation est devenue existentielle.
Mais malgré tout cela, je ne vois rien qui puisse banaliser le FN, justifier ou excuser le vote FN. Rien qui puisse faire que dans ce face à face qui nous oppose à la mort, nous nous dérobions d une quelconque manière. No passaran! !!
Dans ce périple effréné qui a été le mien ces derniers, je suis retrouvé il y a quelques jours dans la cantine des cheminots de Tarbes à prendre un verre pour le départ en retraite d'un camarade contrôleur. Il y avait dans l'assemblée Jean Claude Viau cheminot lui même CGTiste chanteur des Bandoulets qui s'est approché de moi et immédiatement m'a parlé de Franco. Le 20 novembre 1975, il sortait d'un match de rugby à San Sébastian et s'apprêtait à fêter jusqu au bout de la nuit sa 3ieme mi temps quand sa voiture à a été arrêté par la police. Alcool? Certes mais surtout on lui reprochait à lui et ses amis de fêter la mort du Caudillo.
"Franco était mort?"
Dès que la gardia civile fut repartie, l'arbitre du match, un basque embarqua tout le monde chez lui au sous sol et ce fut l'une des plus grandes bringues de Jean Claude. Il en ressortit avec trois bouteilles offertes par son hôte, qu'il m'a promis en hommage à "Franco la muerte". Alors ce dimanche on se fait les fachos et après promis "les auteurs de Franco," les bouteilles sont pour vous. A Tarbes.