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Marie-Pierre Vieu
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4 avril 2016

Une conscience en état de veille

Au bord du gouffre, un livre de Claude Mazauric (éd. Arcane 17)

Le titre pourrait nous renvoyer à la crise économique, à défaut à une faillite financière. Mais l'abysse auquel il est ici fait mention, est bien plus profond.

Dans Prendre dates. Paris, 6 janvier-14 janvier 2015 édité chez Verdier, l'historien Patrick Boucheron et l'écrivain Mathieu Riboulet décidaient de prendre leur part à l'histoire dans la foulée des attentats de Charlie et de l'hyper casher. À chaud et même s'ils sont « .. peu enclins par nature à parler d'actualité. » comme le rappellent les premières lignes de la quatrième de couverture.

Je venais à peine de finir la lecture de cet essai et en étais encore remuée, lorsque j'ai reçu un mail de Claude Mazauric présentant à Arcane 17 son projet de livre. Nous étions fin-décembre 2015.

Ce mois avait été pour moi celui du reflux. Les attentats du 13 novembre avaient réactivé cette impression de chaos qui m'avait déjà saisie en janvier. Les résultats de l'extrême droite aux régionales, cette vague brune venant s'échoir et pénétrant jusque dans nos familles exacerbaient mes peurs. J'avais laissé la lassitude m'envahir, et je redoutais que dans nos propres rangs militants, reviennent les temps du repli et de la culture de l'entre soi, comme si ceux-ci avaient eu le pouvoir de nous délivrer de notre incapacité collective à nous ouvrir un horizon commun. J'avais toutes les peines du monde à me départir de l'idée d'un enfoncement inéluctable vers la pire régression, la fatigue se conjuguant à l'absence immédiate de perspective.

au bord du gouffreCe manuscrit qui nous étaient soumis à publication m'a alors permis de m'extirper du seul ressenti pour ré entrer dans le domaine de la réflexion, de l'analyse critique. Car, si l'auteur est acteur de l'actualité du monde, il sait également porter un regard distancié sur celui-ci, assumant une fonction multiple d'historien, philosophe, homme politique et d'érudition, lecteur assidu et passionné, citoyen...

J'y ai vu une sorte de continuité avec le livre Riboulet/Boucheron. En même temps ce carnet de bord constituait la meilleure réponse au Premier ministre évoquant la culture de l'excuse pour qui choisissait de continuer à penser et comprendre, quand il aurait préféré que nous endossions tous un treillis et acceptions sans broncher sa logique de guerre. "Non Mr Valls un esprit ouvert n'est pas le problème, il est la solution! "

Le livre est sorti fin mars bénéficiant déjà d'un bouche à oreille exceptionnel. Bâti sous forme d'un journal allant de décembre 2014 à décembre 2015 il est un formidable outil de transmission pour les acteurs de la transformation sociale.

Claude Mazauric sous le coup de la maladie et croyant voir la mort se rapprocher, l'a d'abord pensé et conçu comme un long soliloque s'adressant aux siens. Au fil des pages, de l'écriture, des événements qui s'entrechoquent et de la vie qui reprend sa place, sa portée gagne en universalité. Ce journal s'adresse bien à nous tous, et nous y retrouvons le cheminement de la pensée vivace d'un intellectuel et militant communiste. Au parti pris toujours aussi affirmé ; la dédicace adressée d'emblée au Président de la République en est la meilleure illustration. Il y aussi ce regard acerbe sur une France aujourd'hui confrontée à ses propres crimes et violences d'hier. Il est encore son engagement pour une gauche d'alternative, son retour d'expérience sur le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon.

La première lecture du récit m'a renvoyée dans sa construction, au Chateaubriant des Mémoires d'Outre tombe révisitant ses voyages, souvenirs, rencontres, lectures et prises de position avec une profusion de détails, descriptions et parti pris. Mais participant à la soirée de lancement d'Au bord du gouffre le 16 mars dernier à Nimes, alors que j'écoutais Claude Mazauric parler de son enfance cévenole, son apprentissage d'historien, sa rencontre avec Marx et l'extorsion de la plus value ou de son rapport à la lecture, j'ai aussi compris sa proximité assumée avec Rousseau saisissant combien l'auteur des " rêveries..." et "confessions.." avait contribué à façonner son aspiration à une société de l'égalité au service de l'être et pas seulement de l'avoir, à forger et légitimer son combat communiste où la nature et le contrat social ne sont pas découplés.

Tout au long de cette soirée gardoise comme à la lecture du livre, me sont revenus des images, des références, des souvenirs qui ont accompagné mon propre engagement;

- 1989 et du bicentenaire de la révolution française où il était essentiel de ne pas laisser déposséder le peuple de ses journees révolutionnaires et de son propre mouvement...

- Revolution et sa vente en Avignon pendant le festival à l'entrée du Palais des papes alors que Vitez mettait en scène La Célestine de Fernand de Rojas

- Le jour où Claude Prévost, critique littéraire à l'Humanité que j'avais joint au téléphone m'a fait comprendre l'importance de l'Histoire au sein du récit romanesque...

Nous vivrons sur Paris ce soir une nouvelle #nuitdebout où se croiseront des milliers de jeunes qui à leur tour sont en train d'écrire leur parcours politique. J'espère que certains iront aussi piocher dans le Mazauric quelques raisons supplémentaires de poursuivre ce "commun" qui est le nôtre.

 

 

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