Ne pas défaire ce que nous avons construit ensemble
Dimanche 13 octobre. Un dimanche noir puisque c’est le 2ième tour de Brignoles. Un dimanche encore assombri par la crise qui s’est immiscée au sein du Front de gauche. Au fil des semaines le débat s’est cristallisé sur les municipales et plus particulièrement Paris, capitale vers laquelle tous les regards sont rivées et où en début de semaine, la majorité de la direction départementale a choisi de soutenir une démarche d’union dès le 1er tour avec le PS. « Renoncement à la stratégie du Front de gauche, décision destructrice pour la pérennité de celui-ci, crime d’état et haute trahison » s’insurgent les uns tandis que les autres rétorquent par le besoin d’être immédiatement utiles et se plaignent de l’intégrisme des premiers : les réseaux sociaux alimentent l’affaire, la presse en fait ses choux gras, les injonctions définitives se succèdent… A l’arrivée, la machine à perdre est enclenchée.
Quelle connerie la guerre !
D’abord, question de délester un peu ma mauvaise humeur de la semaine, disons le tout net : la terreur comme mode opératoire, n’a jamais été un gage d’efficacité. Je remercie toute celles et ceux qui entendent libérer les communistes de la tutelle de leur direction comme de leur culpabilité historique, les appelant à faire le choix de la désobéissance civique face aux « solfériniens » de la Place du Colonel Fabien (j’exagère à peine): cette rhétorique ne marche pas. Ou plus. Cela nous a pris certes du temps, nous a parfois fait mal, très mal, mais ça y est, nous sommes devenus majeurs. Et cela vaut également pour ceux qui à l’intérieur du PCF auraient la tentation régressive…
Dit autrement, on n’a pas ramé des décennies pour s’affranchir du centralisme démocratique pour le réintroduire à l’insu de notre plein gré dans les us et coutumes du Front de gauche. La démocratie et la 6ième République, çà commence maintenant avec l’état des troupes existantes. Plutôt donc que dramatiser les choses pour ensuite regretter le caractère passionnel qu’elles prennent : parlons politique !
Il était une fois… le Front de gauche.
Avant de casser un joujou ou l’envoyer au grenier, il me semble toujours utile de vérifier que celui qui va suivre, soit meilleur. Un Front de gauche de rechange ? Sans les communistes ou en tout cas débarrassé des empêcheurs d’ « autonomisation conquérante » ? Et avec qui ? Eva Joly ? Nöel Mamères ? Le NPA ? Pour exploser, marginaliser ou atomiser ce qui constitue depuis 2009, le levier de l’alternative politique à gauche ?
Je ne crois pas au renforcement par la purge, mais à l’élargissement des bases des convergences et du rassemblement pour les porter. Et pour ma part, s’il est un baromètre qui me guide ces derniers jours, il est le suivant : mon Parti c’est le PCF, mon camp le Front de gauche, ma visée l’émancipation humaine et personne ne m’imposera de choisir entre les trois.
Je suis une enfant du communiste municipal entrée en politique lors du mouvement de nov/déc 86. J’ai vécu la chute du mur de Berlin et la théorie de la fin de l’Histoire, la suprématie déclarée du capitalisme et la lente conversion de la social-démocratie au libéralisme. Puis progressivement des moments structurant la reprise de la révolution citoyenne : Maastricht qui a commencé à sceller des rencontres à gauche, 95, Saint Bernard, le syndicalisme rassemblé puis la gauche plurielle, l’appel à l’autonomie du mouvement social, le mouvement altermondialiste, la gauche plurielle puis 2002 ; 2003, la victoire du TCE, les collectifs anti libéraux et leur échec, la création du NPA, celle d’EELV, la lente remise en marche des forces de la gauche de gauche de l’appel Ramuleau à la création du Front de gauche à l’occasion des Européennes en 2009…
Je ne détaillerai pas chacun de ces moments mais s’il est une évidence pour moi, elle est que notre courant s’est renforcé chaque fois que nous avons identifié des enjeux de fond (à commencer par l’Europe), créer des dynamiques politiques en créant les conditions d’un rassemblement sans exclusive : aurions emporté la victoire en 2005 si nous avions traité notre bataille sur le seul mode de la démarcation vis à vis de la social démocratie ?
Inversement quand nous nous sommes opposés, fragmentés, nous en sommes tous sortis affaiblis et c’est le camp d’en face qui en a été renforcé. Remember 2007, tout le monde avait raison contre l’autre ; à l’arrivée c’est la gauche qui a été paralysée, Bayrou qui a percé et Ségolène Royal qui s’est mise à prôner un rassemblement arc en ciel.
La situation aujourd’hui est bien plus complexe. Il y a l’élément crise qui structure durablement le paysage et dont nous avons perçu au travers de l’affaire Cahuzac, son impact direct sur le rapport à la politique. Il y a les choix faits depuis juin 2012 par le gouvernement Ayrault : le refus du PS d’engager le bras de fer avec la droite, le MEDEF et son renoncement aux principes même qui ont nourri le socialisme (la solidarité et la justice sociale), sa lente contamination par l’idéologie libérale populo sécuritaire de Valls. Pire, il y a sa volonté de ne rien lâcher du point de vue exigences populaires ; nous l’avons vécu sur le budget 2013, l’ANI et les retraites et nous allons le vivre encore plus douloureusement en 2014 parce que la vague austéritaire va maintenant toucher de plein fouet les collectivités locales et donc impacter les assises locales..
Dès lors, le seul argument d’Hollande et des siens va consister à justifier son hégémonie, par la montée du FN que sa politique de casse du code du travail alimente quotidiennement et dont l’abandon de positions progressistes sur le terrain du débat de société (recul sur la laïcité, refus d’octroyer le droit de vote aux résidents étrangers, abandon d’une vraie réforme institutionnelle) renforce et légitime les thèses régressives.
Mais ne nous leurrons cet argument et son corollaire, la tentative d’instaurer un bipartisme pérenne sera l’unique ressort de la stratégie du PS jusqu’en 2017. A nous de ne pas être les instruments cette entreprise mortifère pour toute alternative à gauche ! Cela sans mettre pour autant en péril la nécessité du rassemblement le plus large face à l’extrême droite..
Et maintenant ? Je crois que la plus grande difficulté aujourd’hui posée au Front de gauche, est de continuer à tenir son propre cap. Rassemblement/Autonomie.
Le premier, parce que notre ambition est majoritaire et qu’il s’agit à tout moment de créer les conditions politiques pour être utiles et gagner. Et nous savons qu’il nous faudra travailler à des convergences au-delà du Front de Gauche : sociales et politiques. Nous en avons pointé le potentiel et les limites le 16 juin dernier lors des assises que nous avons initiées.
La deuxième, parce que nous visons à une majorité pour un autre leadership à gauche ; que le Front de gauche est née et tire son expérience de l’échec de l’union de la gauche telle qu’elle a vécu jusqu’en 2002: qu’il est une réponse à la montée du FN et l’extrémisation de la droite.
Les municipales sont difficiles à aborder ? Oui, parce que ce débat vient s’enraciner sur des réalités qui ne sont pas les mêmes selon que l’on est sortant ou pas, majoritaire ou pas, selon que l’on parle d’une sous préfecture ou d’une capitale métropolitaine.
Avec, me semble-t-il, côté communiste une histoire communale toute spécifique. Nous savons par expérience qu’un enracinement local est essentiel dans le rayonnement d’une force : que celle ci ne peut se constituer et se développer sur une seule influence nationale. Début des années 90, le PCF a « survécu » en partie grâce à ses bases et ses élus locaux, et disant cela, je ne parle pas gestion comptable mais ancrage politique et culturel, une proximité, qui a été d’ailleurs utile à tout le mouvement que nous construisons aujourd’hui.
Alors ok pour refuser toute compromission, mais pas d’intégrisme, sous peine sinon de ré-entrer dans ce cul de sac qu’a refusé d’emblée, le Front de gauche : la petite gauche. Et disons le nous tranquillement : 1er ou 2ième tour de la municipale, la question du rassemblement de toute la gauche pour battre la droite et l’extrême droite nous sera collectivement posée. Quelque soit la formule que nous utiliserons pour le signifier.
Mais pas d’équivoque : notre rôle est bien de pourvoir à ce que ce rassemblement ait sur des bases anti austéritaires : logements sociaux, gratuité des transports en commun, retour en régie de l’eau, démocratie locale renforcée (budgets participatifs..) sans parler des positionnements politiques de fond: sur acte 3 de la décentralisation, sur des arrêtés anti expulsions…
Et ne nous racontons d’histoires, il est de plus en plus difficile de le faire dans un 1er tour où le courant que nous représentons est relégué derrière un PS omnipotent. Pour une raison simple : c’est qu’entre nous et la social démocratie, la question se pose en terme de rapport de force et que parfois on ne peut déroger au fait de se compter sous peine de ne plus peser dans le débat ! C’est ce qui nous a amené à Tarbes à initier « Tarbes citoyenne » avec en plus la certitude que cette liste élargira le rassemblement de la gauche pour le 2ième tour ce qui est un enjeu clé pour battre le maire UMP.
« Paris vaut bien une messe » disait Henri IV. Mais chacun sait que le FDG n’est pas une question de foi ! Les communistes parisiens vont faire un choix et quelque soit ce choix, il y aura un après, et ce ne sera pas simple parce qu’il y aura des liens à ressouder et une confiance à reconstruire...
Il nous appartient collectivement d’être à la hauteur de cette situation et je ne veux me résoudre à ce que cela signifie défaire ce que nous avons construit ensemble.
Comment y parvenir ? Sans aucun doute en se refixant des objectifs communs ; les européennes évidemment, mais bien avant la poursuite de la bataille contre la réforme des retraites, celle sur les budgets 2014.
Il est une autre question qui est prioritaire, celle d’avancer dans la structuration du Front de gauche et sa démocratisation. Neuf composantes aujourd’hui qui vont réduire à cinq, fin novembre, avec l’émergence d’un nouveau mouvement conjuguant les Alternatifs, Convergence et Alternative, la FASE, la GA et une bonne partie de l’actuelle GU ; le besoin de revitaliser notre lien au mouvement social via le Front des luttes et la reconstitution d’un vrai Conseil National du Front de Gauche, la relance de ces entités de proximité que sont les Assemblées Citoyennes qui doivent le cœur de notre ancrage territorial. Bref la construction d’une force en phase avec le mouvement politique et sociale…
Voilà quelques notes dressées un dimanche noir. Pour des lundis qui ne le soient pas !